Retour

LE SERPENT DES PROFONDEURS

LE SERPENT DES PROFONDEURS

« Tu es un océan qui embrasse tout, tu es le non-né au pied unique,

tu es le serpent des profondeurs océaniques ».
Yajur Veda

« L’énergie subtile et suprême est endormie, lovée à la manière d’un serpent ; elle renferme
en son sein le bindu (point concentré d’efficience virile, symbole de Śiva) ainsi que

l’univers entier, soleil, lune, astres et mondes.
Mais elle est inconsciente, comme stupéfiée par un poison.

Elle s’éveille grâce à une profonde résonance pleine de connaissance quand elle est barattée
par le bindu, Śiva, qui réside en elle. Ce barattage, effectué à l’intérieur du corps de
l’énergie, doit être fait d’un mouvement circulaire et continu jusqu’à ce qu’apparaissent

des étincelles (bindu) extrêmement brillantes au moment
où se lève cette énergie subtile, la Kuṇḍalinī ».

Sadbhavatantra

« Que le souffle exhalé sorte et que le souffle inhalé entre, de leur propre accord.
La Kuṇḍalinī dont l’aspect est sinueux recouvre son essence dressée.
C’est la grande Déesse immanente et transcendante, le suprême Sanctuaire. »
Vijñāna Bhairava Tantra

Kuṇḍalinī signifie « l’annelée », la « lovée », on la compare à un serpent qui gît,
enroulé, endormi, dans les tréfonds du corps humain.


Kuṇḍalinī représente l’énergie divine, primordiale, qui s’est enroulée, involuée en
chaque être humain, sommeillant au centre de son bassin.
Cette énergie endormie est la source latente de toutes les puissances que le yoga se
propose de libérer.
Toute pratique yoguique un tant soit peu sérieuse met cette énergie des profondeurs
en mouvement et lui donne, en quelque sorte, la possibilité de s’éveiller, de se redresser, de
s’élever et ainsi, de révéler la conscience à elle-même.
Les pratiques tantriques mettent plus particulièrement l’accent sur l’éveil de l’énergie
Kuṇḍalinī.
Lorsqu’elle demeure endormie, enroulée, Kuṇḍalinī s’avère empoisonnante. Son
poison instille en notre conscience l’ignorance, la confusion, la focalisation de notre attention
sur la seule réalité matérielle, objective, temporelle. Sa morsure toxique nous fait nous
identifier à nos pensées et à notre corps et nous rend ainsi mortels.
Une fois éveillée, Kuṇḍalinī devient efficiente et change radicalement de nature.
Elle hisse la conscience sur ses niveaux de fréquence les plus hauts, et confère la
réalisation du Soi et donc, l’immortalité.
Dans son processus de déploiement ascendant, Kuṇḍalinī perce et fait vibrer différents
centres de vie que la tradition nomme cakra ou padma.
Ces roues d’énergie vibrante s’étagent le long d’un axe compris entre le bassin (la
région du périnée) et le sommet du crâne.
Cet axe, suśumnānāḍī, est la principale nāḍī. Dans la conception tantrique, le corps
subtil est sillonné d’innombrables nāḍī – 72000 – représentant les veines ou canaux subtils
véhiculant les courants de la vie, les flots de l’énergie – prāṇa -.
Suśumnā est en relation avec les deux grandes nāḍī de la dualité qui se trouvent à
gauche et à droite de cette tige médiane aussi délicate que la tige d’un lotus.
A droite, piṅgalā ou sūryanāḍī est la veine solaire qui représente nos tendances
naturelles à l’action.
A gauche, iḍā ou somanāḍī véhicule l’énergie lunaire qui nous pousse à penser, à
imaginer.
Ordinairement l’énergie de vie (prāṇa) alterne dans ces deux nāḍī et nous prédispose à
toujours agir et penser, agir et penser.
Dans le cadre de l’existence ordinaire, l’énergie ne devient disponible dans suśumnā
que durant de brefs instants, si brefs que nous ne prenons pas conscience du changement.
La pratique du yoga unifie ces deux grands courants de la dualité et réengage l’énergie
en suśumnā, aussi appelée madhyanāḍī, « Tige de la Déesse » ou « Voie du Milieu ».
Lorsque ce recentrage a lieu, nous nous éveillons à notre nature axiale, nous
expérimentons un état de présence pure ; la conscience essentielle s’épanouit librement.
Nous ne sommes plus alors perdus, empoisonnés par le flux incessant de l’activité et
de la pensée. Nous perçons la coquille du sommeil spirituel et nous éveillons à la pleine
clarté de la présence immédiate, de la lumière consciente.
De multiples pratiques yoguiques et tantriques convergent vers le recueillement et le
déploiement ascendant des énergies dans cet axe médian.
Suśumnā représente donc le fourreau subtil, vide, où Kuṇḍalinī va se redresser, se
déployer, s’éveiller, entraînant dans son ascension la mise en effervescence, en vibration,
des différentes roues de vie : les cakra.
Deux termes principaux sont utilisés pour définir ces carrefours, ces vortex spécifiques
de l’énergie : cakra et padma.


Etymologiquement, cakra signifie roue, cercle, disque, roue du potier, moulin,
mouvement circulaire.
Padma est le nom du nénuphar ou du lotus, ou de ce qui a la forme du lotus.
Les cakra peuvent donc être considérés de deux manières :

- des zones subtiles de recueillement et de tournoiement intense de
l’énergie : les roues de la vie ;
- des lieux d’ouverture et d’épanouissement : les fleurs de la vie.

J’ai personnellement exploré la réalité des « roues » d’une façon empirique, lors d’une
situation qui semblait, en apparence, très éloignée des approches du yoga.
Je ne connaissais rien, à cette époque, sur les cakra. Je vivais « l’aventure » sur une
petite île des Antilles : la Désirade, et avais pour occupation principale la pêche.
Dans les années 1979 – 1980 , les conditions de pêche dans cette île étaient très
rudimentaires : un petit bateau (une barque plutôt effilée pour bien « couper » la houle), un
moteur, des lignes, quelques casiers.
Un jour de pêche, je me suis blessé, très légèrement en apparence, en marchant
malencontreusement sur la gueule d’un « tazard », un poisson carnassier que nous avions
attrapé et qui gisait au fond du bateau.
La blessure semblait tellement anodine que je ne m’en suis pas préoccupé. Quelques
jours plus tard, une inflammation très sévère s’est développée rapidement.
Curieusement, les deux côtés se sont enflammés alors que je n’avais été blessé qu’à
un seul pied. Les circuits lymphatiques devinrent gonflés et violacés des pieds jusqu’au cou,
très nettement visibles.
Cet état (septicémie ?) a empiré tout au long de la journée.
Aucun médecin n’étant disponible sur l’île, je ne pouvais rien faire d’autre qu’attendre
et endurer.
Dans la soirée, tout mon corps fut pris de tremblements incontrôlables ; je pensais aux
symptômes du tétanos et me sentais vraiment très mal, très vulnérable.
Mon corps était brûlant d’une fièvre très élevée et tremblait, tremblait.
A un certain moment, je me suis senti absorbé dans une sorte de sommeil comateux et
j’ai vraiment cru que ma dernière heure était venue.
Quelques heures plus tard, je me suis réveillé en pleine nuit. J’allais toujours aussi mal
mais je percevais intensément une sorte de rayonnement dans la région du nombril, un
rayonnement vibrant, pulsant, irrésistible, souverain.
Ce rayonnement spontané, constitué d’ondes rythmiques puissantes se déploya
pendant une heure environ. Toute mon attention y était focalisée, j’y entrevoyais
spontanément la manifestation d’un dénouement heureux de cette expérience. Au bout d’une
heure je me suis senti mieux et … apaisé. Je me suis endormi et lorsque je me suis réveillé le
lendemain matin, j’étais guéri. Epuisé, mais guéri.
La roue ombilicale, je l’apprendrai plus tard, est le centre de l’énergie de vie. Son
activation spontanée et intense avait ramené rapidement la santé dans mon corps.
Les jours et mois qui suivirent cette expérience furent marqués par une intensification
de la région cardiaque et de la région frontale que la cartographie tantrique donne pour siège
d’Ājñācakra : le siège de l’intuition. Avec le recul, je ne pense pas que cet épisode
d’activation de la roue ombilicale, lors de cette pathologie, ait joué un rôle causal dans ce qui
suivit. Au plus était-il l’un des éléments du vaste processus d’éveil spontané et sauvage de
Kuṇḍalinī, qui commença à se déployer dans mon organisme à partir de ce moment.
Ce processus était spontané, incroyablement intense. J’y assistais, très étonné.


La découverte des voies du yoga m’amena rapidement à dévoiler cet espace vibratoire
étonnant, paradoxal, du corps subtil, des courants d’énergie pulsante qui y coulent et ces
roues tourbillonnantes, rayonnantes qui en constituent les foyers.
Ce déploiement vibratoire s’accompagnait de moments de recueillement, d’absorption
irrépressible durant lesquels le silence et le vide intérieurs s’épanouissaient naturellement.
Ce silence ne s’offrait pas comme une expérience, il n’était pas un objet subtil dont je
pouvais jouir.
Plus intime que moi-même, ce silence se révélait plutôt comme le fond conscient,
abyssal dans lequel la question « qui suis-je ? » s’abolissait en s’accomplissant entièrement,
parfaitement.
Que trouvais-je ainsi dans ces moments de recueillement intense ?
Un silence indescriptible, plus subtil que le subtil, une bénédiction, un retour au non-
lieu originel où toute quête, toute démarche, toute question, tout mouvement se dissolvent.

Un silence paix.
Un silence joie.
Un silence amour.
Un silence « Je ».

Dans mon vécu et ma démarche, le déploiement de l’énergie et le recueillement
méditatif furent et sont toujours concomitants.
Partenaires tourbillonnants ou langoureusement enlacés, ils vont l’amble, ils dansent
ensemble.

Certains textes du Shivaïsme non-duel du Cachemire décrivent sept sortes de vacuité
et désignent le vide de l’intériorité par le terme Kha, que Lilian Silburn compare au moyeu de
la roue cosmique, le point de recueillement total. A ce premier vide succède un vide en
expansion : l’Immensité consciente qui embrasse l’univers. Le terme vyoman, firmament infini
de la conscience, lui est associé. Nous abordons ici un étrange paradoxe : lorsque la
conscience se retire du monde phénoménal et atteint un point de concentration intense, elle
débouche sur une vacuité silencieuse qui peut se déployer alors en une expansion qui
contient l’univers tout entier. En touchant ce point de recueillement (un des cakra qui s’étage
dans la Tige de la Déesse), nous nous dilatons paradoxalement dans une immensité
intérieure consciente, un cœur divin dans lequel la réalité repose, apaisée.
Ces deux termes ne décrivent pas deux « vides », mais plutôt deux octaves d’une
seule et même réalité mystique.
Chacune de ces « formes » du vide (le langage lui-même nous entraîne dans des
paradoxes étonnants) se décompose en un vide passif, śūnya, et un vide dynamique,
efficient, l’indicible, anākhya.
Le Shivaïsme non duel n’est pas un système du vide ; il privilégie donc anākhya, le
vide efficient, saturé de puissance qui peut permettre au yogi la « fonte » des résidus
psychiques – les vāsanā et saṃskāra porteurs des tendances contractantes de l’ignorance -,
et l’amener, ainsi, à une transformation et divinisation intégrales.


Kha résulte d’un ardent recueillement, par exemple dans le centre du cœur ; en écho,
vyoman (le firmament de la conscience, l’immensité intérieure) s’épanouit jusqu’à immerger la
totalité de l’univers en son ouverture.
Les cakra s’offrent ainsi comme des lieux de recueillement de l’attention, du souffle (ou
plutôt des souffles) et des phonèmes (mantra et bīja).
Chaque roue de vie constitue un espace privilégié où l’énergie peut quitter ses
tendances naturelles à alterner continuellement dans les deux veines latérales, piṅgalā et iḍā.
Cette alternance latérale de l’énergie entraîne notre conscience à s’identifier à l’action
et à la pensée, ne lui laissant que rarement l’occasion d’être réellement disponible, présente
à elle-même. Nous passons ainsi beaucoup de temps dans un état d’agitation mentale plus
ou moins anxieux, d’activités multiples et de distractions variées.
Lorsque l’énergie revient au centre, en suśumnā, dans cette tige de la Déesse
Kuṇḍalinī, notre attention s’épanouit et se réintègre à la Présence immédiate. Nous
retrouvons l’altitude, l’axe et la profonde tranquillité éveillée, inhérents à ce que nous sommes
vraiment, derrière les apparences.
Cette exploration des dimensions subtiles du corps et de l’énergie n’est pas une fin en
soi, elle s’affirme plutôt, dans la dynamique tantrique, comme un sas, un passage
intermédiaire entre la forme et le sans forme.
Dans l’approche tantrique, le corps subtil (et toutes les perceptions des niveaux de
réalité subtile) s’impose comme un médiateur incontournable dans le processus de
réalisation de soi.
Bien sûr, nous pouvons découvrir notre nature profonde sans passer par cette
exploration. De nombreuses voies s’en dispensent.

Le yoga tantrique s’ancre, quant à lui, dans deux niveaux de réalisation :
l’énergie et la conscience, Śakti et Śiva.
Ces deux niveaux fusionnent d’ailleurs à un certain degré de leurs déploiements et la
conscience elle-même réabsorbant et résorbant la totalité de la manifestation en son sein, se
révèle alors, saturée d’énergie, vibrante, omniprésente, souveraine. S’offre alors le royaume
très secret de anākhya, l’ineffable.
La totalité de la manifestation est rendu alors à son état primordial : lumière
consciente, vibrante, spanda, onde originelle, ūrmi.
La réalisation sur le plan de l’énergie coïncide au plein éveil de cette puissance
latente formidable, kuṇḍalinī. Elle s’effectue à travers l’activation des potentiels du
corps subtil.
La réalisation sur le plan de la conscience consiste à découvrir, à reconnaître le
Soi réel, et à recentrer notre attention dans cet arrière-plan, conscience sans forme qui
sous-tend notre existence.

Quand l’énergie se libère et entre en effervescence, elle dévoile dans son ascension la
conscience pure.
Kuṇḍalinī peut s’éveiller à partir de chaque roue.
Personnellement, quelques mois après ce déclenchement spontané de la puissance
du centre ombilical – manipūra - ma pratique se résumait en un recueillement intense dans la
roue du cœur - anāhata –.


Lorsque la concentration atteignait une certaine intensité, « je » basculais dans un
niveau de réalité intérieure, un espace au centre de la poitrine, où régnaient sans partage un
silence virginal, une lumière intime sans foyer, une douceur aimante, paisible et extatique.
Je « revenais » de ces absorptions spontanées avec un sentiment de tranquillité
incroyable, de clarté, de lucidité, de légèreté.
Le cœur, anāhata, se révèle être l’espace souverain où la conscience entame son
processus de reconnaissance d’elle-même.
Le cœur, ce lieu que nous désignons tous spontanément de la main en la portant au
centre de notre poitrine, lorsque nous disons « je », « moi ».
Le cœur, siège suprasensible de la conscience.
Le cœur, espace subtil de réception du divin.
La Chandogya Upaniṣad l’affirme avec beauté :
« Le petit espace à l’intérieur du cœur est aussi grand que le vaste univers.
Les paradis et la terre se trouvent là, ainsi que le soleil, la lune et les étoiles ;

Le feu, les éclairs et le vent sont aussi là,
ainsi que tout ce qui est présent comme ce qui ne l’est pas.
Car tout l’univers entier est en LUI et il loge au sein de notre cœur. »

Selon le yoga de Sri Aurobindo, dans le cœur réside l’ « être psychique » qui n’est
autre qu’une parcelle déjà présente, le germe en quelque sorte, de la conscience divine.
Lorsque le moment est venu, cette portion de conscience pure, cet être psychique, se
révèle sous la forme d’un élan pur vers la Source, d’une aspiration intense à la fusion en la
divinité.
De la vigueur de cet élan (du zèle adorant de l’être psychique), dépend le « progrès »
dans la voie de l’union : le Yoga.
C’est ce qui m’advint spontanément. Pendant plusieurs années, je me suis retrouvé
absorbé, consumé par cet élan.
Cette aspiration intérieure partait du cœur, et suivait naturellement une dynamique
ascendante vers la tête et le ciel au-dessus.
Je découvrirai des années plus tard, la description codifiée des différents souffles de
vie (les prāna ou vāyu) qui animent l’être humain. Udāna, le souffle ascendant, part
effectivement du cœur, il s’élève jusqu’au centre coronal, au sommet du crâne et au-dessus.
Lorsque udāna entre en activité (les pratiques yoguiques et tantriques l’animent), il
nous permet de retrouver de l’altitude et de connecter ces énergies suprasensibles,
supraconscientes, qui règnent au-dessus du centre couronne, la plupart du temps non
reconnues, non actualisées.
Lorsque udāna vibre (car les souffles sont aussi des champs d’ondes, de vibrations)
l’activité mentale se clarifie et s’apaise, l’intuition et la Présence immédiate, la vacuité
éveillée – turya – redeviennent évidentes, naturelles.
A cet élan partant du cœur vers le ciel répond une descente, une chute de l’énergie,
une infusion descendante de la grâce.
Sri Aurobindo l’appelle la descente de la Force (la pleine puissance de la Śakti, la
Mère universelle).
Dans la tradition shivaïte, elle est justement nommée « Śaktipath », la descente de
l’énergie Śakti .


Ainsi, les roues supérieures, du cœur au centre couronne, deviennent très actives.
A l’aspiration répond la grâce ; à l’élévation, la descente des énergies supérieures.
Il devient ainsi relativement facile de vivre pratiquement en permanence (avec plus ou
moins d’intensité selon les moments, le type d’activité ou d’expérience existentielle) avec
cette connexion supérieure.
Nous sommes ici dans le domaine spécifique de kuṇḍalinī, un branchement subtil,
direct, avec une « sur » ou une « supra » énergie qui engendre une transformation radicale
des perceptions sensorielles, des émotions et de la manière de penser.
La conscience retrouve alors son droit.
Ainsi, les grandes qualités que chaque être humain recherche confusément : la paix, la
vastitude, la joie, la clarté, l’amour deviennent disponibles. Elles descendent littéralement des
plans supérieurs et inondent la personnalité.
Cette force descendante, Śaktipath, est ressentie comme une infusion vibratoire très
subtile qui s’accompagne, nous l’avons vu dans le chapitre sur Brahman nāda, d’un son
inaudible, non frappé, anāhata.
Cette descente peut devenir très intense, impérieuse, et engendrer une immobilisation
corporelle et une profonde pacification.
Le temps psychologique s’abolit dans cette cataracte suprasensible et la Présence
immédiate, sans forme, silencieuse, s’impose.
Durant un séjour en Inde, j’ai rencontré un vieux disciple de Sri Aurobindo et de la
Mère. Il était pratiquant du Pūrṇa Yoga (le yoga intégral) et du Haṭha Yoga. Nous passâmes
quelques journées à échanger sur cette expérience et à la partager en silence.
Ce vieux yogi très digne occupait un poste de grande responsabilité au sein d’une
banque indienne, à Bombay. Lorsqu’il revenait à Pondichéry, à l’ashram de Sri Aurobindo, il
devenait une tout autre personne. Lorsque j’allais le voir dans son appartement, il sortait une
peau de tigre d’une grande valise et s’y asseyait, en face de moi.
Toute sa passion du yoga débordait alors de son apparence soignée, active et sûre
d’elle- même de haut responsable bancaire.
Il parlait de l’expérience de descente de la Force en termes très imagés et typiquement
indianistes ; pour lui, il s’agissait, ni plus ni moins, de traire la vache cosmique.
Traire la vache cosmique 
Il s’agit en effet d’une sorte de traite intérieure très subtile. Pour la compréhension, les
indiens assimilent la vache à la lumière.
Etymologiquement, le mot sanscrit « go » désigne à la fois la vache et les rayons de
lumière.
Lorsque la descente de la Force a lieu, elle donne effectivement l’impression de traire
les énergies divinisées de la vache cosmique.
Les cakra s’apparentent à des points de rencontre entre le monde de la « forme » et le
« sans forme ». Ils existent en tout être humain à l’état latent. En tant que potentiels, ils
peuvent s’éveiller spontanément, se mettre en mouvement, tournoyer à la suite de situations
particulières : lorsque notre existence est en danger, dans la danse, le chant, les jeux
érotiques, le sport, et, sans doute, toutes les pratiques extrêmes de dépassement de soi.
Ils s’actualisent avec une amplitude inégalable dans l’approche tantrique du yoga.
Comme ils représentent des carrefours spécifiques où l’énergie et la conscience sont
particulièrement concentrées, une approche recueillie de notre attention et de notre
respiration sur ces roues les dynamise et les active.


Les āsana, ces grandes poses hiératiques et archétypales, agissent intensément sur
ces roues. Chaque posture joue un rôle de révélateur dynamique de certaines d’entre elles.
Par exemple matsyāsana – la posture du poisson – va particulièrement stimuler les
centres laryngé et coronal (au sommet de la tête).
Dans mon expérience, Kuṇḍalinī s’est d’abord activée à partir du cœur et de la région
frontale. Quelques semaines après la vision de l’onde dorée dans le ciel (voir chapitre sur
l’holoperception), je commençais à vivre dans mon corps les échos de cette vibration.
Régulièrement lorsque j’étais en état de recueillement méditatif, la région frontale –
siège de ājñācakra, le fameux troisième œil ou œil de contemplation - devenait très intense.
Puis cette concentration d’énergie se transformait en pulsations subtiles et en ondes
qui se déployaient d’un point central entre les deux yeux, légèrement derrière le front. Ces
vibrations obéissaient à un rythme régulier et étaient accompagnées d’ondes lumineuses
dorées qui se diffusaient dans le cerveau et le système nerveux. Ces ondes lumineuses
étaient perçues, les yeux fermés ou ouverts. Cette mise en résonance lumineuse et vibratoire
durait quelques minutes, elle laissait l’activité mentale dans une profonde tranquillité et le
cerveau lui-même, dans une grande détente. Ce processus ne s’est jamais arrêté depuis (36
ans) et se manifeste encore régulièrement.
Le terme cakra évoque le dynamisme, la rotation, le rayonnement, le tournoiement
véloce, la spirale.
Le terme padma suggère l’épanouissement, l’ouverture, l’éclosion, la floraison.
Dans le vécu, ces deux dynamismes se rejoignent. En s’activant, les roues de vie
engendrent une intense mise en vibration de la zone corporelle correspondante et, à travers
cette effervescence énergétique, une ouverture et une spatialisation de la conscience
corporelle subtile.
D’objective – repliée sur elle-même - cette conscience devient ondulatoire, pulsante.
Le corps perd alors les limites bien étroites dans lesquelles l’identification à la pensée
le maintient.
Tous les niveaux de cette expérience, de ce processus de dévoilement du corps subtil
s’ancrent dans le sens tactile qui se déploie, alors, dans des dimensions vibratoires
insoupçonnables.
La roue de vie traditionnellement associée au sens tactile est anāhata, le cœur.
Chaque cakra est également relié à une (ou plusieurs) qualité spécifique.
La grande qualité du cœur est l’ouverture. L’ouverture, plus que l’amour qui s’avère,
bien souvent, chargé de connotations personnelles et de projections.
J’ai rencontré un ashramite de longue date (60 années passées à l’ashram de Sri
Aurobindo à Pondichéry) ; il avait 73 ans lorsque je l’ai connu et avait été exceptionnellement
accepté à l’ashram par Sri Aurobindo lorsqu’il avait 13 ans. Il s’appelait Śāntiḥ (du mot qui
désigne la paix en sanskrit) et avait été le plus jeune disciple à avoir vécu dans cette
communauté spirituelle.
Ce bel et svelte indien aux cheveux longs et blancs, aux yeux lumineux, me confiait
lors de nos échanges :
« On ne peut pas aimer tout le monde. »
Bien sûr, il avait raison, nous ne pouvons pas aimer personnellement tout le monde,
mais nous pouvons être ouverts, nous pouvons nous ouvrir.


L’ouverture est l’essence de l’amour


L’essence élémentale du cœur est l’air ; ainsi la respiration et le cœur entrent
facilement en résonance, ils se sustentent mutuellement. Lorsque nous accompagnons d’une
façon attentive notre respiration, il est naturel de la sentir se déployer et se résorber dans le
cœur. Si nous accomplissons ce simple recueillement : placer notre attention et la caresse
vivante du souffle dans la roue du cœur, celle-ci se réactive et l’ouverture s’épanouit
naturellement.
Chaque roue de vie est ainsi associée à un sens et à des qualités particulières.
Mūlādhāra, le centre racine, le plus bas dans la verticalité corporelle (au centre du
bassin, dans la région du périnée), est relié à l’élément terre et au sens le plus archaïque :
l’olfaction. Un animal symbolique lui est associé : l’éléphant. Celui-ci évoque, bien sûr, la
stabilité, et sa trompe, un odorat extraordinaire.
Il devient aisé, en recourant à une lecture analogique, de voir que les symboles et les
mythes sous-tendant le yoga nourrissent une compréhension multidimensionnelle de la
réalité. Rien n’est laissé au hasard, tout fait sens pour celui qui sonde le symbole.
Les qualités de mūlādhāra sont donc la stabilité, l’enracinement, la mise en phase
avec l’ICI, ainsi que le sentiment de sécurité qui en résulte.
Svādhiṣṭhāna, le centre sacré, est localisé quelques centimètres au-dessus. Il régule
l’élément eau, le sens du goût, une forme de fluidité émotionnelle, le calme et la joie, une
relation saine au plaisir.
L’animal gouvernant le centre sacré est le crocodile makara qui, avec sa gueule
immense, évoque le sens du goût et la démesure dans laquelle celui-ci peut nous entraîner.
La recherche du plaisir peut effectivement devenir la source de multiples tensions ; les yoga-
sutra affirment que les pensées sont infinies comme l’est le désir.
Dans manipūra (ou nābhicakra), le centre ombilical – au niveau du nombril -, siège
l’élément feu, relié au sens de la vue, aux qualités de dynamisme, de puissance d’affirmation
et de pouvoir de transformation (le feu, en effet, est capable de transformer n’importe quelle
substance).
Certaines approches tantriques le décrivent comme le point de libération et d’éveil de
Kuṇḍalinī. Il peut être vu comme le régent des trois roues sous-diaphragmatiques.
Son animal est le farouche bélier prompt à se battre.
Les yogas de transformation par le feu s’accomplissent à partir de la roue ombilicale.
Ils consistent à activer le feu inhérent à manipūra et à le laisser monter dans la tige centrale.
Le fameux Toumo (l’art de développer la chaleur intérieure) du Vajrayana, en est l’expression
tibétaine. Il fait partie des six yogas de Naropa, les pratiques secrètes du bouddhisme
tibétain.
Le Vijñāna Bhairava Tantra, bible du Shivaïsme tantrique non duel, expose ses
propres pratiques de yoga du feu. Celles-ci mènent à une dissolution du sens de la forme
corporelle ou universelle et à une perception intuitive directe de turya, la conscience sans
forme.
Nous avons décrit précédemment le cœur dont l’animal est l’antilope gracieuse, la
biche, à la beauté et à la course exquises.
Qui peut rester indifférent à sa grâce, à ses sauts qui semblent défier les lois de la
gravitation ? L’antilope semble avoir des ailes, elle se joue de l’air.


Plus haut, au milieu du cou, se trouve viśuddhacakra (ou kaṇṭhacakra), le centre
laryngé, le plus subtil de tous. Il est, en effet, en lien avec l’élément espace, qu’on appelle
également éther - ākāśa - . Il gouverne le sens de l’ouïe et réfère à la pureté, au lâcher- prise,
à la non-résistance. Son animal est l’éléphant, blanc comme neige. L’espace ne prend ni ne
retient rien, il recueille en son sein les manifestations de tous les autres éléments. Il permet à
chaque chose de se déployer telle quelle. Sans lui, aucun autre élément ni rien ne saurait
apparaître.
J’aime nommer viśuddha : la première porte de la vacuité. Après l’ouverture propre au
centre cardiaque, viśuddhacakra , centre de la pureté, nous invite à abandonner la forme et à
plonger dans le sans-forme.
Lorsque nous écoutons les sons ambiants avec toute notre attention et tous nos sens,
cette qualité d’écoute met en relief l’espace silencieux dans lequel les sons apparaissent, se
déploient et disparaissent. L’ouïe s’ancre à ce niveau-là dans le sens tactile et permet de
« ressentir » l’espace. Dans cette « écoute-sensation », le son va progressivement donner
une perspective nouvelle au silence dans lequel il naît.
Cette attention accordée au silence extérieur pointe directement vers un silence plus
profond encore, abyssal, qui s’avère être le silence de la Conscience – mère et essence de
tous les sons -.
Ainsi, dans le yoga de l’ouïe, le son, l’espace, le silence ambiant et enfin, la vacuité
éveillée de la conscience silencieuse, s’enfilent, en quelque sorte, comme des perles aux
reflets de plus en plus subtils et intimes, dans le collier de l’écoute contemplative.
Les deux autres portes du vide sont les dernières roues, céphaliques : ājñā et
sahasrāra, respectivement au milieu du front et au sommet du crâne.
Ces deux centres ne sont reliés à aucun élément. Nous abordons ici, le plan mental
qui correspond au sixième sens.
Le point de vue qui fonde le yoga, considère l’être humain doté de six sens : les cinq
sens habituels que nous connaissons également en occident, auquel s’ajoute le mental.
Celui-ci filtre, différencie, interprète les innombrables informations sensorielles pour les
convertir en un monde spatio-temporel cohérent.
La plupart du temps, nous ne percevons pas directement ce que nous percevons, nous
le pensons. Les scientifiques affirment que notre façon habituelle de percevoir oblitère 98%
de la réalité phénoménale. Les 2% restant représentent ce que le mental laisse passer dans
son rôle d’interprète.
Nous avons déjà longuement parlé de cela dans les chapitres sur l’holoperception et
sur le yoga des sens. Nous avons vu que ce yoga clarifie, désencombre, désobstrue la
perception et la ramène à sa propre source : la Conscience elle-même.
Alors s’épanouit la perception intuitive directe – prathyakṣa -.
Ājñā (ou bhrūcakra) et sahasrāra (ou brahmarandhra) – respectivement au centre du
front et au sommet du crâne – constituent les deux autres portes du vide. Ces roues ne sont
en lien avec aucun élément et ne réfèrent qu’au plan mental – sixième sens-.
Ājñā, le centre de l’autorité, et sahasrāra, le lotus aux mille pétales, représentent nos
potentiels de discernement intuitif de la réalité et d’unification avec la Conscience.
Lorsque kuṇḍalinī, dans son ascension, fait tournoyer, éclore, vibrer les différentes
roues de vie, elle active en même temps les harmoniques supérieures des sens en les faisant
refluer vers la source perceptive véritable qui n’est pas le mental (lui-même étant un sens),


mais la Conscience pure. Alors, la réalité –mais peut-être devrions-nous dire l’ « apparence »
- est perçue directement, intuitivement, sans dualité, sans séparation.


La perception est acte de conscience.
L’apparence est inséparable de la conscience. L’apparence est conscience.

Le Shivaïsme reconnaît d’autres centres, ou points d’énergie, importants. Certains se
trouvent à la surface du corps, à l’avant et à l’arrière de l’axe. Ils correspondent aux cakra. On
les nomme « kśetram », ils représentent des portes d’entrée ou des points de résonance
cutanée aux cakra.
Un centre nommé dvādaśānta est investi d’un pouvoir bien particulier. Sa localisation
transphysique le distingue de tous les autres : une douzaine de doigts au-dessus de la tête,
dans l’espace.
Dvādaśānta devient très actif lors de la montée de kuṇḍalinī. Il peut être considéré
comme un relais des énergies universelles dans le corps. Cette zone peut devenir
intensément active, très vibrante et sans doute, Śaktipath, la descente de la force divine et de
la grâce, dépend-elle de la mise en résonance de ce centre suprasensible.
Ce dvādaśānta est qualifié de cosmique. D’autres points nommés dvādaśānta sont
également décrits, ils résultent de localisations spécifiques, à douze travers de doigts des
narines ou de différents centres.
Bien sûr, le plus important est de vivre directement et d’explorer cette réalité subtile.
Comment s’ouvrir à ce potentiel dynamique et aux éclosions de conscience qui
l’accompagnent ?
Il suffit de rassembler, de concentrer, de recueillir notre attention et notre
respiration dans suśumnanāḍī, l’axe divin, la tige de la Déesse.
Les différentes roues de vie s’offrent comme des portes privilégiées s’ouvrant sur cet
axe.
Anāhata (ou hṛdaya), le centre du cœur, s’avère particulièrement propice à ce genre
de recueillement, pour plusieurs raisons.
Ce cakra est vraiment l’espace central par excellence, le milieu de la tige de la
Déesse, le point où verticalité et horizontalité se rencontrent.
De plus, du cœur jaillit spontanément le souffle ascendant qui relie tous les centres
sur-diaphragmatiques. Ce souffle – udāna – va donner de la verticalité et de l’altitude.
La qualité associée au cœur est l’ouverture. De l’ouverture du cœur résulte l’ouverture,
l’épanouissement de la conscience.
Le cœur est, ainsi qu’aiment le décrire les mystiques soufis, l’espace subtil et privilégié
de réception du Divin.
C’est aussi le berceau de l’enfant divin ; le point d’embrasement de l’élan, de
l’adoration qui nous pousse à aspirer, à nous relier amoureusement à la Source, quels que
soient la forme et le nom par lesquels nous nous la représentons.
Cet élan pur n’est autre que le dynamisme de l’être psychique et il se révèle dans
l’expérience vivante, plus fondamental et surtout plus opératif qu’une approche strictement
mentale.


Les Śivasūtra, dont on dit que Vasugupta en reçut la révélation en rêve, dans la
première moitié du XIème siècle au Cachemire, prés de Srinagar où il résidait, évoque ce
jaillissement pur de la puissance ascendante.
« L’élan est Bhairava, l’Absolu »
La Mahārthamañjarī de Maheśvarānanda décrit également la Source (Śiva) en ces
termes :
« Fusion en une seule énergie des milliers d’énergies perçues de toutes les
manières possibles, tel est le suprêmement libre nommé Śiva, qui a pour essence
l’élan de son propre cœur  » .
Cet élan, ce mouvement ascendant impérieux s’élevant du cœur est déjà l’éveil de
notre propre nature « bhairavienne », originelle, destructrice des liens de l’illusion.
Cet élan du cœur s’affirme comme le dynamisme premier du processus d’illumination
libératrice.
Les grands textes du Shivaïsme non-duel du Cachemire, mettent sans cesse l’accent
sur l’adoration, l’amour fou qui relie le yogi à la Source.
Tous les êtres (quelles que soient leurs religions), joignent spontanément les mains
devant la poitrine pour se recueillir, prier et se relier à leur propre fond.
« Ouvrir le centre du cœur est la félicité de l’esprit …

Le yoga se pratique par la concentration sur le cœur, le retour des formations mentales
et des perceptions à l’espace, la perception continue de la spatialité sous-jacente aux
formations et aux perceptions, le frémissement constant de la kuṇḍalinī, le samādhi dans la

réalité, le retour permanent à l’informulé par les souffles et les mantras,

la circulation des souffles entre les cœurs ».
Pratyabhijñāhṛdaya de Kṣemarāja.

Exercice :


Dans son enseignement, Sri Aurobindo suggère que la façon « yoguique » de rendre
opératif l’intérêt mental que nous pouvons éprouver pour la spiritualité, consiste à recentrer
notre attention sur les zones corporelles correspondant à certains cakra. Selon lui, ce
recueillement de notre conscience, et donc de notre énergie, sur ces supports à la fois
physiques et supraphysiques, génère l’actualisation des potentiels de déploiement de la
conscience et des puissances qui lui sont inhérentes.
Les différentes approches du Shivaïsme tantrique insistent également sur l’exploration
systématique de la veine centrale (suśumna ou Brahman nāḍī) et des roues de vie qui s’y
étagent. Le Vijñāna Bhairava Tantra évoque, à de multiples reprises, des pratiques mettant
en jeu ce vaste domaine d’expérience.
L’exercice que je vous propose est simple, ses effets sont puissants.
Je vous invite à le réaliser dans une position assise confortable, une des grandes
poses de yoga : siddhāsana ou sukhāsana.
Si cela est impossible pour vous, asseyez-vous simplement sur une chaise, le dos bien
droit, sans tension.


« Dans un premier temps, je vous invite à habiter votre assise ; laisser les pieds, les
fesses, le bassin et les cuisses se déposer sur leur support.
Laissez votre attention balayer et sonder les éventuelles tensions correspondant aux
zones de défense : front, espace entre les yeux, yeux, tempes, mâchoires, dents, langue,
nuque, épaules, bas-ventre.
Puis revenez à une conscience vivante du mouvement de votre respiration.
Prenez vraiment le temps de vous rendre disponible.
Puis, à partir de cette qualité de présence, laissez votre attention remonter au sommet
de votre crâne et s’y établir.
Prenez le temps pour le faire, sans générer de tensions.
Evoquez une fleur blanche très délicate aux multiples pétales et rangées de pétales
qui s’ouvre doucement.
Placez également votre respiration dans cette zone comme si vous respiriez par le
sommet du crâne.
Caressez délicatement et tactilement cette fleur avec le souffle.
Evoquez l’éclosion de la fleur, les pétales qui s’ouvrent en frémissant comme des ailes
de papillon.
Explorez le ressenti.
Ne cherchez aucun résultat.
Restez détendu.
Sondez l’espace au-dessus, le ciel.
Explorez tactilement le ciel.
Peut-être ressentirez-vous, rapidement, une tranquillité, une diminution nette, sensible,
de l’activité mentale et donc de l’agitation.
Cet espace supraphysique, au-dessus de la tête, devient, si nous prenons l’habitude
d’y recueillir notre attention et notre souffle, intensément vivant, vibrant, clair, vaste,
silencieux.
Lorsque dvādaśānta, le centre relais de l’énergie universelle dans le corps, se réactive,
nous le ressentons comme une infusion de vibrations très fines juste au-dessus de la tête.
Nous l’éprouvons également tel l’épanouissement d’une clarté nouvelle, d’une étendue, d’une
expansion, d’une tranquillité.
Puis, à votre rythme, dès que cet espace vous semble vivant, laissez lentement votre
attention redescendre dans la tête, dans le cou, dans le cœur, au milieu de la poitrine.
Prenez un peu de temps et respirez dans ces trois roues de vie.
Avec un peu d’habitude, cette qualité vibratoire supérieure va accompagner le
mouvement descendant de votre attention : les pouvoirs et qualités supérieurs de la
conscience (paix, silence, douceur, clarté…) commencent à inonder, à infuser le cerveau, le
cou, le cœur.
Centrez votre attention dans le cœur, respirez au centre de la poitrine.
Evoquez une fleur rose pâle, très délicate, qui s’épanouit tournée vers le haut, avec, en
son centre, un joyau de couleur verte, une émeraude très pure.
Polissez amoureusement le joyau du cœur avec le souffle.
Plongez dans le mystère du cœur.
Puis convoquez la force de votre élan, de votre aspiration à rejoindre l’essence de la
conscience.
Laissez cet élan, cette aspiration, cette adoration pure s’élancer du cœur vers le haut,
le sommet du crâne et l’espace au-dessus.


Cet élan s’apparente à un mouvement ascendant animé d’une vibration, d’une onde
subtile. Gardez-le relié à votre respiration, laissez-le s’épuiser de lui-même puis…appréciez.
Appréciez et doucement revenez au cœur, comme précédemment.

La fleur du cœur s’ouvre.

Le ciel descend dans le cœur. Goûtez la saveur.
Ouvrir le centre du cœur est la félicité de l’esprit. 

Lorsque nous renouvelons régulièrement cet exercice contemplatif, nous activons une
sorte de relais supraphysique à travers lequel nous nous reconnectons aux énergies
supérieures, à un flot descendant de puissances et de qualités spirituelles qui inondent et
infusent alors, progressivement, toutes les roues (cakra) et, par leur intermédiaire, le corps
tout entier.
La connection à cette « sur » ou « supra » énergie  nous ouvre à une source de vitalité
supérieure inépuisable. Elle éveille l’octave supérieure des émotions : l’adoration, l’ouverture,
l’amour, le don de soi, l’aspiration, la compassion, la paix, la vastitude, la joie.
A travers cet exercice nous commençons à nous élever et à retrouver une altitude
propice à la paix, à la joie, à la clarté.
Nous enclenchons également cette descente de la Force, de la Grâce, propre au
Pūrṇa Yoga de Sri Aurobindo et aux grands Yoga liés à Śaktipath, la chute de l’énergie, de la
Śakti.
Avec le temps, cette infusion descendante se répand dans la totalité de l’organisme et
apporte une ouverture vibrante dans laquelle le corps est alors ressenti comme une masse
d’ondes, une pulsation d’une douceur, d’une amplitude, d’une intensité et d’une clarté
inouïes.
Le corps lui-même, la conscience que nous en avons alors, s’offre telle une masse
vibrante, lumineuse et immense de conscience.
Cet exercice nous sera également précieux lorsque nous aborderons (dans les
prochains chapitres) le yoga du sommeil et des rêves.

À la découverte du Yoga de Corps Conscience
À la découverte du Yoga de Corps Conscience